Paroles d'actrice : L’œnologue consultante indépendante Chloé Conort nous parle du millésime 2024. Premières impressions d’après écoulages.

La parole fraîche, un rien dissonante mais ô combien salutaire d’une jeune et talentueuse œnologue de terrain. Chloé Conort nous parle sans détour de sa perception du millésime, des tendances et habitus à proscrire.

4 novembre 2024
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Parlez-nous de vous

Je suis ingénieure agronome et œnologue de formation. J’ai passé mon diplôme d’œnologie par la voie de l’alternance, ce qui m’a permis de démarrer en 2013 au sein d’une exploitation de 80 hectares dans l’Entre-deux-Mers qui élaborait les trois couleurs. Une expérience complète et très formatrice mais pas forcément le modèle après lequel je cours aujourd’hui (rire). Elle fut surtout l’occasion de passer par un certain nombre de postes et de me former à la viticulture, au conditionnement, à la préparation de commande ou encore à la vinification au sein de petites équipes très polyvalentes. J’ai travaillé sept ans dans la production, trois ans en conseil œnologique au sein de structures de service viticole et œnologique. Je suis en free-lance depuis le millésime 2023. J’ajoute que mon millésime de baptême fut le 2013 (rire).

Chloé Conort, œnologue consultante indépendante.

En quoi le millésime 2013 vous a marquée ?

2013 a permis à la toute jeune œnologue que j’étais, de découvrir qu’il pouvait y avoir beaucoup d’interventionnisme sur les vins dans les chais avec un certain nombre d’intrants œnologiques. Ce qui était, je dois le dire, un peu à rebours de mes idées et convictions. J’ai donc assez naturellement opté pour des exploitations plus artisanales souvent certifiées en agriculture biologique. Je n’ai pas immédiatement œuvré pour des domaines aux méthodes plus vertueuses, j’ai cheminé pour finalement et assez naturellement m’intéresser à une philosophie de production avec une approche plus holistique.

Pouvez-vous nous parler de ces semaines post-vendanges ?

Au 15 octobre, tout était rentré sur la rive droite en tout cas, et chez mes clients. Nous assistons aux fins de fermentation, il n’y a plus grand-chose sous marc et on arrive dans les malos !

Sur des timing habituels ?

Je dirais que les vendanges ont plutôt démarré assez tard, du fait d’un printemps frais et humide qui n’aura pas favorisé la croissance de la vigne, donnant très tôt l’indication que les choses se feraient tardivement. Nous avons environ quinze jours de retard par rapport à l’année précédente. Les fermentations se sont déroulées plutôt rapidement d’autant plus que nous étions plutôt sur des petites maturités avec de faibles degrés d’alcool. Chez mes clients j’ai préconisé de limiter les actions d’extractions ainsi que les macérations post-fermentaires. Globalement, nous étions face à des raisins croquants, avec un fruité juteux et vif sans réelles maturités phénoliques cette année. Il fallait donc travailler à préserver l’aromatique et la fraîcheur, et non pas à chercher de la matière coûte que coûte, au risque de faire jaillir de l’amertume et des tanins un peu durs.

En vous avançant un peu, comment qualifiez-vous ce millésime ?

Les quantités ont parfois été très faibles, en particulier chez les bios. Entre phénomènes de coulure, mildiou et vers de grappe, parfois même la grêle, les pressions ont largement hypothéqué les volumes. J’oserai cependant dire que ce millésime tombe à point nommé dans la mesure où il correspond clairement à une attente des consommatrices et des consommateurs avec des acidités marquées et des degrés plutôt bas – des blancs autour de 12° et des rouges à 12,5° ! C’est déstabilisant certainement pour bon nombre de vigneronnes et vignerons mais en réalité cela ressemble à ce que Bordeaux était il y a maintenant quelques décennies. Ce n’est pas un millésime qui a été tributaire du changement climatique, je parlerai plutôt pour 2024 d’un climat de changement ! (rire) Il va falloir faire preuve d’adaptation, encore une fois ! Nous nous sommes posé la question des profils des vins recherchés en fonction des conditions climatiques de ce millésime et des solutions pragmatiques ont vu le jour dans un délai parfois très court.

Quelle incidence sur les types d’élevage et les contenants ?

Ce millésime conduira sûrement quelques-uns à produire des clairets ou autres AOC oubliées, afin de revendiquer une histoire bordelaise et être en phase avec le marché, avec des vins qu’on peut boire à tout moment et en toutes occasions. Il y a une volonté affichée de dépoussiérer l’ancien, d’élaborer des vins susceptibles d’intéresser le caviste. Je n’oublie pas bien entendu que le besoin de choses rassurantes avec des cuvées plus classiques existe encore. Il y a aujourd’hui une réflexion dès les récoltes puis sur les types d’élevage pour les rouges avec des lots plutôt calibrés pour des élevages courts aux mises en marché précoces. La systématisation de certaines techniques d’encuvage par rapport à l’hétérogénéité de la vendange et des maturités reste encore trop prégnante selon moi. Je n’oriente pas mes partenaires vigneronnes et vignerons vers cela et je répète à l’envi qu’il faudra ajuster les élevages pour avoir de la profondeur sans que le bois ne vienne masquer l’effet millésime.

Et que diriez-vous des blancs ?

Les blancs ont cette année une bonne ouverture aromatique, ils sont déjà très expressifs. On a pu attendre une certaine maturité des baies. Il fallait mesurer les interventions aux débourbages. Pour ceux qui ont échappé au botrytis, les bourbes étaient propres. Il n’y a pas eu ou alors très peu de phénomène de réduction pendant la fermentation. On a parfois pu choisir de travailler sur lie totale en élevage. Avec mes clients, on ne cherche pas à élaborer des bombes aromatiques ce qui est également une manière de se différencier de la gamme des vins « hyperthiolés » ou« bonbon anglais ».

Où voyez-vous une lueur d’espoir ?

Dans ce contexte de chaos, les vigneronnes et les vignerons font preuve de beaucoup de créativité. Elle se traduit souvent par une forme d’agilité, une prise de risque, une envie de chercher. Ce signal est certes encore faible mais il donne indéniablement de l’espoir et de l’envie de découvrir leurs vins !  

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La campagne 2023 fut intense et soutenue, dans la mesure où les sorties plus précoces se sont effectuées à un rythme très rapproché chez bon nombre de têtes d'affiche et autres « stars », suscitant un peu d'excitation. Cette campagne des primeurs a été plus ramassée et dense que 2022 qui s'étira quant à elle sur deux mois. Comme rappelé par M. Bernard, du groupe Millésima, le contexte économique particulier d'inflation et de ralentissement économique « génère une incertitude qui incite inéluctablement les consommateurs et les investisseurs à être plus prudents ». Sous entendant que les prix seront globalement revus à la baisse, aux vues du niveau des stocks chez les importateurs, les distributeurs et les cavistes ou encore de la baisse des ventes sur les principaux marchés exports. Ce qui, au regard de la qualité et du volume du millésime, devrait susciter un regain d'attractivité et redonner le sourire aux consommateurs et aux producteurs.

Présentation de nos dégustateurs lors des primeurs 2023