Paroles d'acteurs : Pierre Hurmic et Jean-Pierre Xiradakis

Nous avons eu l’idée apparemment assez étonnante de croiser les regards du maire de Bordeaux, Pierre Hurmic et du célèbre restaurateur et joyeux iconoclaste Jean-Pierre Xiradakis. Ces deux-là se connaissent depuis longtemps et partagent également le même amour pour leur ville et sa filière viticole.

13 mai 2025
10
 min de lecture

Parlez-moi de l’opération que vous avez initiée : « Bordeaux passe au verre » ?

Pierre Hurmic : Je suis très heureux de cette opération que j’ai portée avec un certain nombre d’acteurs. Une opération qui, c’est une première, a fait l’objet d’un bel article dans le Times ! Je peux, sans me tromper, dire que Bordeaux ou son maire n’ont pas souvent fait l’objet d’articles dans le Times. Ils ont trouvé l'opération très subtile et impactante. Cette opération fait suite à un double constat général. Je suis allé en vacances à Beaune l’été dernier et j'ai été frappé de voir comment la ville tout entière faisait la promotion des vins de Bourgogne. Ce qui, il faut bien le dire, n'est pas le cas de la ville de Bordeaux. Tous les restaurants, tous les bars de Beaune paraissaient être en totale osmose, communion avec la filière viticole. Il y a là un réel intérêt économique. À mon retour à Bordeaux, je vais dans un restaurant et je vois sur l’ardoise consacrée aux deux vins du mois: un lambrusco italien et un rosé d'Anjou. En plein mois d’août, alors qu’il y a en ville des visiteurs du monde entier… Je me suis dit, là, il y a quelque chose qui dysfonctionne profondément dans la mesure où l'intérêt du vin de Bordeaux, c'est l'intérêt de tous les Bordelais, quels qu'ils soient. La filière économique vitivinicole, c’est 60 000 emplois directs et indirects. Si la filière plonge, elle entraînera du monde avec elle. On voit bien qu’il y a des intérêts conjoints dans le fait que la ville de Bordeaux doive s'intéresser davantage à son terroir et à cette filière économique qui fait sa renommée. En tant que maire de Bordeaux, chaque fois que je vais à l'étranger, on me parle des vins de Bordeaux. Bordeaux, grâce à la notoriété de son patrimoine viticole, reste la deuxième ville française la plus connue au monde. J'ai pour habitude de dire que je suis non seulement le maire de Bordeaux mais aussi le maire du Bordeaux. Je le pense réellement, cette ville doit vivre en osmose avec cette filière économique, culturelle et historique.

Pierre Hurmic, Maire de Bordeaux

Et l’autre constat ?

PH : On le sait, la filière est en difficulté. Il m’a donc semblé que c’était le moment de se serrer les coudes, de trouver quelque chose pour valoriser davantage le produit au sein même de la ville. Il y a 4 millions de touristes qui viennent à Bordeaux chaque année, il nous faut être capable de leur parler du vin de Bordeaux. J’ai donc décidé de réunir des acteurs économiques, qui ne se parlaient pas forcément, autour de la table à savoir l’UMIH, le CIVB, la chambre de commerce, pour réfléchir à une opération de promotion intelligente et réellement efficace. C’est ainsi que j’ai proposé que tous les établissements de Bordeaux, les bars, les restaurants et les hôtels, jouent la carte de la promotion des vins de Bordeaux, en mettant l’accent sur la vente du vin au verre, qui rencontre un véritable succès. On constate un vrai changement dans la manière de consommer le vin, et ça passe moins par l’achat d’une bouteille que d’un verre, à l’apéro, de vin blanc, de Clairet ou de rouge un peu frais, dont je suis un grand amateur. La filière bordelaise doit prendre conscience bien plus qu’elle ne le fait aujourd’hui de ce changement dans les us et coutumes, surtout chez les plus jeunes. Il fallait porter ce projet ensemble et proposer un premier prix à 5 euros pour un verre de vin de Bordeaux. Entre nous soit dit, j’aurais aimé qu’il soit encore un peu plus bas. En gros, il s’agit ainsi de faire face à la concurrence de la bière en termes de prix et d’habitude de consommation et faire en sorte que les jeunes boivent par exemple des vins locaux à l’instar de ce qui peut se faire au Pays basque. En faire presque des « chauvinistes » du local. Cette opération doit pouvoir s’étendre dans une région, dans une ville, dans un village, il faut que ces consommatrices et ces consommateurs prennent conscience qu'ils défendent ainsi leur territoire.

Jean-Pierre Xiradakis (1) : Au Pays basque du Sud, ils ont le txakoli (blanc légèrement carboné) et nous avons le blanc limé, également fait à partir de blancs locaux ! Les gens n'ont pas conscience du drame qui est en train de se jouer sur nos territoires. Dans l’Entre-deux-Mers, où je vais très souvent, tu rencontres de plus en plus de vignes qui ne sont plus cultivées sans compter les effets de ceux qui arrachent pour toucher les 6.000 ou 7.000 euros. Ce qui conduit à un état de désolation incroyable humaine et paysagère dans une des plus belles régions viticoles du Bordelais. Que ces consommatrices et ces consommateurs n’oublient pas : il y a le produit, il y a le vin mais il y a aussi des femmes et des hommes derrière qui ont bien souvent hérité de propriétés qu'elles et qu’ils ne pourront pas transmettre, qu’elles et qu’ils sont en train de perdre.

Comment analysez-vous cette crise ?

PH : La crise est structurelle. Moi, ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'il y a des changements de consommation et c’est la non prise en compte de ces changements qui m’inquiète. Les plus jeunes, mais aussi les autres œnophiles, aiment les vins fruités, légers, les blancs ou les rosés voire les rouges qui représentent aujourd’hui 80 % de la production. La philosophie du goût n'est plus la même. J’insiste, il nous faut nous adresser aux 25-35 ans. C'est eux qui peuvent nous sauver.

JPX : Je pense qu'il faut crier le plus fort possible qu’on met en péril un territoire, le bien vivre ensemble si toutes et tous privilégient systématiquement la bière !

PH : Je suis d’accord avec toi. Il faut, pour ça, susciter cette curiosité pour les vins locaux. C'est ça l'intérêt de cette opération : susciter une curiosité pour qu’in fine les gens passent du verre de bière au verre de vin. C'est l'idée derrière l’opération « Bordeaux passe au verre ». Voilà également pourquoi j'étais très attaché au prix de ce verre.

JPX : Je voudrais aussi qu’on s’arrête un instant sur cette idée fausse qui veut que les vins de Bordeaux soient trop chers. Dans l'Entre-deux-Mers, tu te régaleras avec des vins à moins de 10 euros, c'est absolument remarquable. Je pense encore qu’il faut inciter les Bordelaises et les Bordelais à passer plus de temps sur ces territoires viticoles, dans l'Entre-deux-Mers, dans le Médoc ou encore dans les Graves et pourquoi pas imaginer un système dans lequel il y aurait des remises dans chaque château visité pour les habitants de Gironde !

Comment restaurer une relation organique entre les Girondines, les Girondins et leurs vins ? À travers une cuisine populaire par exemple ?

JPX : Les déjeuners ou les dîners évoluent de la même façon que les vins. Les gens ne mangent plus de la même façon. Un plat, un dessert avec une bouteille de vin, ça n'existe quasiment plus. On pourra peut-être changer le mode de consommation des vins mais pas les types de repas prônés aujourd’hui. Je réitère l’idée que chacun d’entre nous doit être le vecteur du territoire sur lequel il est. C'est ça qu'il faut créer. Recréer cette relation organique. Dans ce sens, le rôle de la mairie est essentiel !

PH : Créer la cohésion d’un territoire est du ressort du politique, voilà ce qui a motivé cette opération. Tous les acteurs économiques n'apprécient pas que le maire de Bordeaux soit en première ligne, mais je considère que c'est dans mes fonctions de «faire» territoire et de mettre tout le monde autour de la table en posant la question: comment est-ce qu'ensemble on peut sauver ce territoire ? En disant qu'on a tous un intérêt convergent et quand je dis que je suis le maire du Bordeaux, je le pense sincèrement. Je joue ma partition à chaque fois que j’en ai l’occasion. Je le fais, par exemple, à travers ce qu'on appelle la diplomatie des villes. Ainsi, lorsque je me déplace dans une ville jumelle, j'amène une délégation du CIVB avec moi ou des viticulteurs. Je l'ai fait à Québec, je l'ai fait à Fukuoka, au Japon, qui sera l'invité d'honneur de la prochaine fête du vin. Fukuoka, c'est tout de même la cinquième ville du Japon, avec 26 millions d'habitants. Son maire a une véritable appétence pour nos vins. Je viens de faire de même en allant, il y a quelques jours à Los Angeles, relancer le jumelage ancien entre nos deux villes.

Que doit faire la filière selon vous pour dessiner un autre horizon ?

PH : C'est le moment opportun de se réinventer. Hölderlin, le poète allemand, a écrit « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ». Je pense qu’on est en péril et ce qui peut nous sauver, c'est une dose d'inventivité. Il faut arrêter de regarder le passé, ce temps où Bordeaux était hégémonique. Il nous faut tous ensemble faire preuve d'imagination. Nous devons prendre conscience qu'on n'est plus « les rois du pétrole ». J'aime beaucoup ce que dit Stéphane Derenoncourt : « Nous sommes restés à une époque où Bordeaux était hégémonique, représentait un summum de qualités, où on ne vendait pas le vin mais où on venait le chercher ». Ce temps est révolu.

 

(1) : un très grand merci à Jean-Pierre pour son entremise amicale et efficace.

Partager cet article

La campagne 2023 fut intense et soutenue, dans la mesure où les sorties plus précoces se sont effectuées à un rythme très rapproché chez bon nombre de têtes d'affiche et autres « stars », suscitant un peu d'excitation. Cette campagne des primeurs a été plus ramassée et dense que 2022 qui s'étira quant à elle sur deux mois. Comme rappelé par M. Bernard, du groupe Millésima, le contexte économique particulier d'inflation et de ralentissement économique « génère une incertitude qui incite inéluctablement les consommateurs et les investisseurs à être plus prudents ». Sous entendant que les prix seront globalement revus à la baisse, aux vues du niveau des stocks chez les importateurs, les distributeurs et les cavistes ou encore de la baisse des ventes sur les principaux marchés exports. Ce qui, au regard de la qualité et du volume du millésime, devrait susciter un regain d'attractivité et redonner le sourire aux consommateurs et aux producteurs.

Présentation de nos dégustateurs lors des primeurs 2023