Ceci n’est pas un édito !
François-Régis Gaudry, l’hôte exceptionnel de cette lettre numéro 11 revient sur la dimension culturelle du vin en France, classé au même titre que la gastronomie au patrimoine immatériel de l’Unesco en 2010 ! À la lecture de l’interview, on se dit que le temple sera longtemps gardé par ce type d’érudit curieux, par ce type d’émission chantant les louanges du bien manger et du bien boire à la française. À l’image des Cahiers du Cinéma ou de Positif qui restent les indéfectibles gardiens d’un temple où Kurosawa fréquente Lang ou encore Eisenstein ! Si la part de ces amateurs de salles obscures reste aujourd’hui portion congrue, il me semble que l’héritage restera diligemment préservé par ces beaux et grands passeurs. À l’instar de ce que nous dit encore François-Régis Gaudry, gardons-nous en revanche d’être dans l’entre-soi.
En réalité, l’analogie avec le vin se tient dans la mesure où le classement 1855 et autres notations superfétatoires rencontrent moins de laudateurs, intéressent aujourd’hui moins des amateurs qui ont depuis longtemps remisé tastevins et RVF dans des placards profonds. Le fortin sera en revanche défendu à Bordeaux, parions-le, par des gardiens autoproclamés du temple ou légitimés par leurs propres pairs. Est-ce que cela sera suffisant pour survivre ou reconquérir ? On revoit L’homme qui tua Liberty Valance à satiété mais boit-on avec la même gourmandise tous les Bordeaux ? Il me semble, comme le dit fort intelligemment Christine Derenoncourt, dans notre Coup de Projecteur, que le vin de Bordeaux a clairement un peu perdu de sa superbe et de son attrait lorsqu’il s’est défait de son habit d’Épicure, perdant de la même façon son lien à la cuisine populaire. Lorsqu’enfin il s’est enorgueilli de sa seule valeur marchande, du seul reflet de son costume étincelant dans un trop grand miroir. Une perte de fond vite accompagnée par une perte de sens délétère, abîmant le vivant, la nature et l’écosystème.
Vous l’aurez compris le vin, la filière tout entière doit faire sa mue, celle-là même que Jean-Baptiste Duquesne appelle de ses vœux dans la Carte Blanche. Quant à moi, je crois qu’un verre de vin doit contenir ce que les femmes et les hommes ont de mieux à offrir. Encore faut-il, à rebrousse-chemin d’une agriculture en perte de sens, que le vigneron soit moins dégagé de ses obligations sociétales et environnementales. Petits et grands.
Post-scriptum
Cette lettre est ma dernière. En effet, j’ai le regret de vous annoncer que ma mission pour Féret s’achève à la fin du mois. Sachez que j’ai pris beaucoup de plaisir à vous accompagner, à défendre la filière en travaillant assidûment à la renaissance de la belle maison Féret, en concoctant cette lettre d’informations. L’ambition était de faire de la maison et du guide à venir un outil précieux et beau de promotion des vins de Bordeaux, d’un savoir-faire séculaire. Je quitte une belle équipe absolument dédiée à ce projet aussi fou que nécessaire. Je réitère donc ici mes plus sincères remerciements aux talentueuses Véronique, Romane et Valentine qui ont renversé des montagnes dans la joie et la bonne humeur. Je leur suis éternellement reconnaissant de la confiance immense qu’elles m’ont accordée. Je sais d’ores et déjà que je croiserai à nouveau leur route comme je croiserai derechef la vôtre dans la mesure où je resterai, à travers mes écrits, mes interventions et dégustations, le promoteur de Bordeaux, d’un certain Bordeaux.
Encore merci à vous, bonne route.
Fidèlement vôtre.
Henry Clemens