Paroles d'acteur : Yves Raymond, vigneron et propriétaire du château Saransot Dupré

Yves Raymond, grand connaisseur du Médoc, revient sur ce qui a prévalu à la création d’une AOP Médoc blanc et sur le rôle de Bordeaux et ses Vins pour légitimer ce choix.

9 décembre 2024
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Yves Raymond, vigneron riche de mille vies, fut journaliste gastronomique, pigiste pour Gault et Millau et compagnon de route de Jean-Pierre Gauffre au sein du Journal du Médoc. Cette figure emblématique du paysage viticole bordelais est un fin connaisseur du Médoc, de son histoire séculaire. Il revient pour Féret sur ce qui a prévalu à la (prochaine) création d’une AOP Médoc blanc et sur l’importance testimoniale du Bordeaux et ses Vins.

Avant 1895 environ, les seuls blancs recensés en Médoc provenaient des villages de Blanquefort et du Taillan. Ils étaient alors vendus comme vins de Graves ! Cela a été possible car ces deux villages étaient sur la limite qui sépare le Médoc des Graves. Le 18e siècle voit naître les vins modernes, c’est-à-dire des vins capables de passer le premier été sans s’altérer. Avant cela, il faut bien le dire, tous les vins de France se consommaient sur l’hiver comme les beaujolais nouveaux car ils piquaient quand arrivait la saison chaude. À la fin du 17e siècle, les découvertes concomitantes de la mèche de soufre, les débuts de l’industrialisation de la fabrication de bouteilles (à moindre coût) et le bouchage en liège vont permettre la naissance des vins tels qu’on les connaît aujourd’hui.

Le 18e siècle correspond également au double triomphe du Médoc, celui du vin rouge sur le blanc et celui du Médoc sur toutes les autres régions bordelaises. À cette époque, les Graves s’étendaient jusqu’à Blanquefort et le Taillan. Le triomphe commercial du Médoc va inciter les viticulteurs de ces communes à revendiquer la dénomination de la région voisine. C’est ce que vont réussir à faire Blanquefort et Le Taillan à la fin du 18e siècle tout en profitant de l’absence de toute règlementation ou instance supérieure, pour conserver malgré tout leur production de blanc en… Graves, comme le précise André Jullien dans sa Topographie de tous les vignobles connus, publiée en 1816. L’idée était de gagner sur tous les tableaux : profiter de la forte demande et des prix élevés réservés aux vins rouges du Médoc tout en bénéficiant pour les blancs de la belle réputation des Graves. La quasi-totalité des vignes blanches des deux communes vont être arrachées vers 1850 à cause de l’abandon par le consommateur des vins blancs secs au profit des Sauternes et autres liquoreux comme le relatera quelques années plus tard le Féret de 1868. Le vignoble blanc du Médoc va reprendre vie à partir de 1895 et concernera cette fois toutes les communes de la presqu’île jusque et y compris les plus fameuses communes productrices de vins rouges comme Margaux. Les différentes éditions du Bordeaux et ses vins nous permettent de documenter l’agrandissement de ce vignoble décennie après décennie. En 1905 sont promulguées les lois sur les appellations simples. Les différents villages opteront pour des appellations médocaines sauf les vins de Blanquefort et du Taillan qui conserveront la mention de vin de Graves. Ces appellations simples seront définitivement supprimées vers 1960 au profit des AOC et toutes les productions médocaines de blanc devront se replier sur l’appellation Bordeaux, ce qui n’a pas été loin de provoquer leur disparition totale. Là encore, la documentation fournie par le Féret est irremplaçable et nous permet de chiffrer cet effondrement. L’engouement pour les rouges du Médoc était tel à l’époque qu’aucun syndicat viticole ne se manifesta pour demander la création d’une appellation d’origine contrôlée de blanc. Mais petit à petit, à partir des années 1980, l’intérêt pour le blanc reprit au point qu’aujourd’hui ce sont plus de 70 châteaux qui produisent du blanc en Médoc et le mouvement s’accélère.  

On est aujourd’hui à front renversé, avec une demande croissante pour les blancs et une baisse de la consommation des rouges. Ce choix d’une appellation Médoc blanc est donc aussi dicté par le marché. Il ne faut pas le nier. J’ajoute, mais on l’aura noté, que nous nous sommes beaucoup appuyés sur le guide Féret pour soutenir et légitimer le dossier auprès de l’INAO. On ne rendra jamais assez hommage à l’importance primordiale de Bordeaux et ses vins pour retracer l’histoire, les revirements et tendances du vignoble bordelais dès 1850.  

Propos recueillis par Henry Clemens

(1) Les articles de Yves Raymond concernant l’histoire des vins blancs du Médoc sont à retrouver dans les Cahiers Médulliens, publication de la Société archéologique et historique du Médoc.

(2) Un article documentant le passage de Blanquefort et Le Taillan de la région des Graves vers la région du Médoc paraîtra en fin d’année.  

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La campagne 2023 fut intense et soutenue, dans la mesure où les sorties plus précoces se sont effectuées à un rythme très rapproché chez bon nombre de têtes d'affiche et autres « stars », suscitant un peu d'excitation. Cette campagne des primeurs a été plus ramassée et dense que 2022 qui s'étira quant à elle sur deux mois. Comme rappelé par M. Bernard, du groupe Millésima, le contexte économique particulier d'inflation et de ralentissement économique « génère une incertitude qui incite inéluctablement les consommateurs et les investisseurs à être plus prudents ». Sous entendant que les prix seront globalement revus à la baisse, aux vues du niveau des stocks chez les importateurs, les distributeurs et les cavistes ou encore de la baisse des ventes sur les principaux marchés exports. Ce qui, au regard de la qualité et du volume du millésime, devrait susciter un regain d'attractivité et redonner le sourire aux consommateurs et aux producteurs.

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