L’interview de Gilles Brianceau, directeur d’INNO’VIN
Le cluster d’innovation INNO’VIN doit nourrir la Lettre Féret de ses actualités les plus marquantes pour la filière. Gilles Brianceau, son directeur et son incarnation depuis plus de dix ans, revient pour nous sur les missions et les grandes orientations d’une structure de « salubrité publique » assez unique en son genre.
De vigneron à INNO’VIN, quelles sont les principales étapes de votre parcours ?
Je suis né à Bordeaux de parents originaires de Charente Maritime et de Vendée. J’ai fait mes études ici : Sciences Po Bordeaux et un troisième cycle en contrôle de gestion et audit interne à l’IAE de Bordeaux. À la fin, je suis parti à Paris pour travailler au sein de l’UAP, qui a fusionné avec AXA. Avec mon épouse, j’ai très vite nourri le projet de revenir dans le Sud-Ouest. Il se trouve que mon père avait racheté en 1986 une exploitation viticole dans les Premières Côtes de Bordeaux et en 1997, il m’a proposé de reprendre la propriété. Je me suis dit que c’était maintenant ou jamais, mais sans avoir la moindre connaissance du secteur et du métier.
Entre 1997 et 2010, j’ai été vigneron à temps plein et je me suis occupé de cette propriété d’une trentaine d’hectares. En 1999, j’ai passé le DUAD. Une période pendant laquelle je me suis également investi dans le syndicat viticole des Premières Côtes en tant que trésorier et vice-président. Je me suis également impliqué dans l’Union des Côtes de Bordeaux mettant sur pied le projet territorial des appellations des Côtes de Bordeaux. Je me suis frotté à la filière de l’intérieur. Pour des raisons personnelles et économiques, j’ai décidé de changer de voie. Complètement par hasard, j’ai postulé comme directeur du pôle INNO’VIN. En 2010, je suis arrivé à la tête de cette petite association, située dans les locaux de l’ISVV, qui comptait 16 membres fondateurs avec un budget de 90 000 euros pour 18 mois, alloué par le conseil régional d’Aquitaine.
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Comment INNO’VIN répond-il aux besoins actuels de la filière ?
INNO’VIN est une structure extrêmement agile qui se nourrit des besoins et des stratégies de la filière. À ce titre, on évolue en fonction des objectifs de cette dernière. Si on est dans un contexte compliqué qui impacte les projets d’innovations qui demandent à se projeter dans 4 à 5 ans ce qui paraît difficile dans le contexte actuel, je reste persuadé que les entreprises ont d’autant plus besoin d’innovation dans cette situation. Un contexte qui demande de se remettre en cause, d’aller chercher des nouveaux marchés, de s’adapter à des nouvelles conditions de production, de mutualiser les efforts… De notre côté, nous devons nous recentrer sur notre cœur d’activité, être encore plus proche des besoins de la filière, de nos adhérents et des entreprises. INNO’VIN doit gagner en lisibilité et en reconnaissance.
Nous souhaitons créer un réflexe INNO’VIN pour répondre aux enjeux. Nous ne sommes certes qu’un maillon dans une chaîne complexe et les projets que nous accompagnons sont d’abord les projets des entreprises mais il ne faut pas oublier qu’INNO’VIN a été à un moment donné le maillon nécessaire et important du projet. Depuis sa création, INNOVIN a accompagné près de 200 projets, correspondant peu ou prou à 50 millions d’investissement en recherche et développement sur un peu plus de 10 ans !
Comment accompagnez-vous les projets de la filière vin ?
Les projets d’innovation arrivent par différents canaux. Le cas qu’on aimerait rencontrer le plus souvent, c’est un chef d’entreprise, un responsable R&D, etc. qui vient nous voir et qui nous dit « je voudrais développer une nouvelle solution ». Il réclamera alors des partenaires académiques, des laboratoires de recherche, des tests de son produit, demandera des utilisateurs (viticulteurs), un financement, des conseils sur la propriété intellectuelle… Cette situation est de moins en moins fréquente.
Les projets émanent aussi de laboratoires de recherche. Dans ce cas-là, on sera par exemple contactés pour accompagner des thèses et transférer les résultats de recherche de ces thèses vers des entreprises. Les projets viennent aussi de groupes de travail que nous mettons en place autour de problématiques et d’enjeux actuels qui peuvent déboucher sur des actions et projets collectifs.
Comment est financé INNO’VIN ?
On est une petite équipe mais il va de soi que pour faire ce travail de détection, d’animation de notre réseau, pour faire germer des idées il faut payer la structure. Nos 170 adhérents nous financent à hauteur de 50 à
60 %. Il s’agit de TPE, PME, de grands groupes, de start-ups, des fournisseurs, de pépiniéristes, etc. Nous avons également un certain nombre de services payants que nous pouvons proposer sur la veille technologique, la participation à des salons pro, des missions à l’international, etc.
Nous nous appuyons enfin aussi sur des recettes publiques du conseil régional, qui est une des structures à l’origine du projet, de Bordeaux Métropole, du Grand Cognac, sans parler d’éventuelles aides européennes sur des projets spécifiques. Concernant le financement des projets, les financements publics à l’innovation sont sollicités. Mais je tiens à préciser, c’est important, qu’il s’agit en l’occurrence de co-financements. À chaque fois que l’État met un euro, l’entreprise met un euro !
INNO’VIN est unique en France, en Europe…
Oui. Des clusters, les pôles de compétitivité qui font à peu près le même métier que nous, il y en a des centaines mais nous sommes très peu nombreux voire les seuls à être concentrés sur la filière vitivinicole. À l’échelle européenne également, à tel point que nous avons créé l’association WICA (Wine Innovation Collaboration Alliance) qui regroupe des structures proches de la nôtre pour travailler sur les innovations dans le monde viticole, les faire connaître et échanger sur les bonnes pratiques avec les acteurs majeurs du vin au niveau mondial.
Est-ce que l’INNO’VIN de 2010 diffère de celui d’aujourd’hui ?
Oui et non parce qu’on s’est développé, on a plus d’adhérents et nos missions se sont un peu élargies mais la raison d’être d’INNO’VIN, celle qui a présidé à sa création, reste toujours la même : répondre aux grands enjeux de la filière à travers de l’innovation, une filière essentielle en termes d’emploi, d’aménagement du territoire, de balance commerciale, etc. Si on veut que cette filière reste leader et compétitive, elle doit répondre à des enjeux majeurs que nous connaissons tous : le changement climatique, la réduction des pesticides, la décarbonation, l’adaptation du produit au goût du consommateur… Pour répondre à ces enjeux, les viticulteurs, les négociants ont besoin et auront besoin d’innovation.
INNO’VIN est là pour que des solutions innovantes, des nouveaux services soient disponibles pour eux afin de répondre aux nouveaux enjeux. Ainsi, si on veut réduire les pesticides, on aura besoin de bio-solutions, de produits de biocontrôle sans impact pour la santé humaine et qui soient néanmoins efficaces contre les maladies. Ces produits, il faut bien qu’il y ait des entreprises qui les imaginent, les développent, les conçoivent ou les commercialisent, des laboratoires de recherche qui aident ces entreprises à développer des nouvelles molécules, à faire des essais, des viticulteurs qui les testent… INNO’VIN accompagne ces projets pour qu’ils germent, soient adaptés au besoin et soient, demain, disponibles sur le marché. C’est notre rôle depuis la création de la structure.
Quel type de partenariat INNO’VIN peut-il envisager avec Féret ?
L’innovation peut certainement nourrir des projets d’édition. Mais peut-être qu’un jour Féret aura besoin d’innovation autour de la garantie des informations vinicoles sur laquelle s’appuient les professionnels et qu’une block chain pourra certifier. Une collaboration avec INNO’VIN n’est donc pas à exclure.
Vous pouvez, d’autre part, être une caisse de résonnance pour nous avec des workshop, des conférences afin faire descendre les nouveautés vers la filière et remonter les expressions de besoin. Il me semble que l’animation du réseau a du sens pour Féret.