La filière des vins de Bordeaux traverse une période de déstabilisation qui touche l’ensemble de ses segments, depuis les « petits » Bordeaux jusqu’à ses plus grands crus. Parce que ces derniers portent l’image de Bordeaux, leurs difficultés actuelles rejaillissent sur toute la filière. Il est donc essentiel, pour l’ensemble du monde des vins de Bordeaux, que les grands crus reprennent en main leur destin et retrouvent un marché assaini.
Même si la crise s’explique par des causes bien identifiées — quasi-arrêt du marché chinois, perte de pouvoir d’achat des consommateurs français et européens, désaffection pour les vins rouges — les grands crus demeurent des produits à part : volumes limités, prix élevés, image très forte. Comment ce marché privilégié en est-il alors arrivé à rencontrer lui aussi des difficultés ? Disons simplement que l’ensemble des acteurs, négociants comme propriétaires, a fait preuve d’un excès de confiance dans la résilience du système.
En observant la situation de près, on constate que les surstocks concernent essentiellement les millésimes 2017 et suivants, tandis que les millésimes plus anciens sont rares sur le marché et ont donc conservé leurs prix. Le 2017 ayant été commercialisé à partir du printemps 2018, il a subi de plein fouet la chute du marché chinois. Concrètement, le négoce bordelais n’a pas réussi à trouver une clientèle intéressée et suffisamment fortunée pour remplacer les acheteurs chinois — et l’on voit mal où elle aurait pu être trouvée.
La situation présente est inconfortable : négociants bordelais et importateurs étrangers sont largement surstockés en millésimes récents, ce qui les rend davantage vendeurs qu’acheteurs et, d’une certaine manière, les place en concurrence directe avec les crus classés. Les cours ont alors chuté, la valeur des stocks s’est érodée et, si le négoce bordelais est toujours fidèle au poste, plusieurs importateurs étrangers, échaudés, ont annoncé vouloir réduire à l’avenir la place des vins de Bordeaux dans leur assortiment.
Il devient donc capital, pour les grands crus comme pour toute la filière, que la campagne primeur 2025 inverse cette tendance et soit un véritable succès. Or, « Août fait le moût », dit le proverbe, et comme le mois d’août a été superbe, les vins le sont aussi. La première condition d’une belle campagne — la qualité — est là. Il reste aux producteurs à proposer un prix capable d’attirer une nouvelle clientèle aux moyens plus modestes que ceux des anciens acheteurs chinois. Il semblerait que les propriétaires y soient prêts.
Si la future campagne primeur est réussie, elle donnera à l’ensemble de notre vignoble une image de produits offrant un rapport qualité-prix exceptionnel et pourra relancer, bien au-delà des grands crus, l’ensemble du marché. C'est pourquoi il faut commencer par remettre les grands crus en ordre de bataille.
Notre lettre s’interroge, comme tout le monde à Bordeaux, et Mohamed Boudellal y ajoute une question : « Le château Lafleur, lanceur d’alerte ? ». Nous vous invitons également à découvrir l’histoire et les enjeux actuels des appellations Fronsac et Canon-Fronsac. Enfin, vous trouverez dans nos échos les dernières nouvelles du vignoble.
Yves Raymond





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