Éditorial : les Primeurs, pour quoi faire ?
À la fin du mois de mars, avant la capitale floraison, Bordeaux la viticole s’adonne à cet exercice étrange qui consiste à mettre en bouteilles des vins encore impropres à la consommation – non livrables – pour les proposer aux professionnels du secteur et à quelques journalistes. Un réel moment pour jauger de la qualité potentielle d’un vin ou un concours de maquillage éhonté pour critiques consentants ?
Éditorial
Des Primeurs, pour quoi faire ?
Un rappel historique s’impose. Si l’origine du système remonte certainement au XVIIIe siècle, avec un concept qui consistait à acheter les raisins sur pieds avant la vendange, les ventes de vins en primeur à Bordeaux ont été instaurées par l’Union des Grands Crus Bordelais en 1970. Cette reprise en main institutionnelle faisait certainement suite à quelques initiatives individuelles consistant à organiser des dégustations de millésime en cours d’élevage directement à la propriété. Ce système s’est imposé au monde dans les années 1980. Les Primeurs sont, il faut bien le dire, une idée révolutionnaire et une vraie poule aux œufs d’or qui permettait aux châteaux de dégager de la trésorerie, en pré-vendant le dernier millésime vendangé, sans attendre la sortie des bouteilles sur le marché.
Mais on ne se bouscule plus et la cohorte des acheteurs, distributeurs, courtiers, négociants se fait désormais plus mince même si les Primeurs restent ce moment de promotion « majeur » pour une partie de la filière. Cannes, plutôt que Sundance, l’événement attire également des journalistes pour mirer de concert en haruspices (autoproclamés) les entrailles des jouvenceaux et déterminer qualité, buvabilité et de fait, la valeur intrinsèque d’un millésime avec son palais parfois, aux doigts mouillés souvent. Ce sont pourtant ces appréciations qui vont déterminer à quels prix les châteaux proposeront leurs cuvées dégustées. Espérons que 2024 ne fasse pas les frais d’une exégèse approximative du millésime, surtout que les surprises seront nombreuses.
À en croire Stéphane Derenoncourt et Jérôme Gagnez (lire l’entretien croisé dans « Paroles d’Acteurs »), la fête n’est plus ce qu’elle était dans les années 1990 – en plein boom Parker – où acheteurs et distributeurs venaient en masse goûter des vins rares, proposés à des tarifs raisonnables, jusqu’à -30 % du prix. À qui la faute ? La massification de l’offre, l’absence de rareté, les prix trop élevés, les journalistes ? Un peu tout cela en réalité.
Alors pourquoi se prêter à l’exercice, me demanderez-vous ? Eh bien parce qu’il a quand même un sens. Tous les domaines proposent le meilleur d’eux-mêmes donc ils partent sur un pied d’égalité. Après avoir testé plusieurs centaines d’échantillons, les contours du millésime se dessinent généralement assez précisément ainsi que l’éventuel avantage de tel secteur sur tel autre. Féret s’attèlera cette année encore et pour la deuxième fois à arpenter le territoire pour aller goûter un millésime dont tout laisse à penser qu’il donnera à voir (boire) un Bordeaux sapide et fringant ! Gwendeline Lucas, la directrice des Vignobles Fayat, revient d’ailleurs pour nous sur les nouveaux profils de vin et le travail engagé par elle et ses équipes pour dessiner les contours de vins hédoniques dans notre « Coup de projecteur ». Ce mois-ci enfin, Inno’vin nous propose de nous intéresser à la data mise au service des vignobles bordelais et notre partenaire Échos de Bordeaux by Agence Fleurie nous rappelle que le 21 mars prochain aura lieu la matinée des œnologues de Bordeaux, rendez-vous incontournable de la filière vitivinicole, qui nous invitera à une plongée scientifique au cœur du carbone. Quel programme !
Fidèlement vôtre,
Henry Clemens, directeur de publication