Vous êtes vignerons de père en fils
Nous sommes vignerons depuis plus de six générations ! J’ai repris à la suite de mon père en 2021, véritable annus horribilis pour commencer (rires). Je suis parti dans une filière générale en électronique mais mes gênes m’ont rattrapé et j’ai bifurqué vers la viti-œno au lycée viticole de Montagne Saint-Émilion.
J’ai eu par la suite la ferme intention de rentrer dans le vif du sujet ! J’ai donc tout naturellement passé une année sur la propriété familiale avant d’intégrer les équipes du Château Beaulieu, débutant en tant qu’ouvrier agricole avant de passer chef de culture, puis maître de chai pour terminer directeur technique en 2022, tout en reprenant la propriété en parallèle dès 2021.

Quels ont été les enseignements que vous en avez tirés ?
J’ai eu la chance de croiser sur ma route les plus grands œnologues et formateurs de la Place de Bordeaux, au nombre desquels Georges Pauly ou encore Hubert de Boüard. Des gens avec lesquels on apprend très vite !
Il était évident qu’il me fallait faire mes armes ailleurs avant de reprendre de façon plus sereine les Genêts, avec des bagages solides et de l’expérience. Je vais vinifier mon 20e millésime ! Je commence à avoir quelques acquis même si je dois dire que 2024 est définitivement un millésime à part !
Vous avez pris la suite de votre père, justement que vous a-t-il dit ?
Il répétait à l’envi cet adage : « Tant que les raisins ne sont pas dans les cuves, rien n’est joué ! ». Une phrase que je vais certainement encore entendre ce soir lors du dîner et qui me semble particulièrement adaptée à 2024, année compliquée s’il en est.
Ne parlons pas de 2024 alors, présentez-moi 2023
C’est mon premier millésime sur la propriété familiale, à temps plein. C’est un millésime de vigneron, marqué par une forte pression du mildiou et qui a demandé une attention particulière, avec un suivi précis des vignes pour finalement en retirer des raisins sains et des volumes convenables. Ce qui nous a permis de vinifier différemment.
Différemment ?
J’ai pu aller chercher plus de pureté dans le vin, exacerber le fruit et travailler sur les trames tanniques pour m’écarter des vieux Bordeaux durs et de la réputation parfois usurpée des vins de Bourg. J’ai pu jouer sur la buvabilité des vins.
Un an après, je peux affirmer que le pari est réussi : mes malbecs sont réussis, mes cabernets, variétaux et mes merlots, ronds et soyeux. Si 2010, 2015 et 2022 sont de très beaux millésimes, ce 2023 correspond selon moi aux demandes de la consommation.
Pour répondre à cette demande, Bordeaux doit encore se réinventer ?
Oui complètement. Il faut mieux répondre au marché et sortir des clichés avec l’idée de vins à garder des années en cave. Le consommateur et la consommation ont changé et les gens n’ont plus de cave. Les gens cherchent des vins prêts à la consommation, et lorsque je reçois sur ma propriété des distributeurs qui viennent faire des mises au châteaux, ces derniers me disent « ça part de chez vous pour aller directement chez les clients ! ».
Bordeaux doit rebattre les cartes ?
Oui, tout en sachant que c’est un fonctionnement très adapté aux petites appellations et moins aux grands crus. Il nous faut aller proposer plus de fantaisie et de l’identitaire. Comme chez moi, en Côtes de Bourg, avec un 100 % malbec. C’est une très grande réussite, Larson l’a d’ailleurs retenu parmi une cinquantaine d’échantillons. Il faut se réinventer et ne pas oublier que le vigneron est aussi un commerçant à l’écoute de son marché. Je m’y attache en produisant une large gamme de vins qui fait suite souvent à des échanges avec les clients.
Parlez-moi de votre gamme
Le Château des Genêts est notre classique avec un élevage en barrique léger, le 100 % malbec est sans bois et sans artifice. Depuis 2022, nous avons la série des cabernets, un assemblage 70 % cabernet franc et 30 % cabernet sauvignon, très à l’opposé du malbec. Une gamme complétée par L’Esprit des Genêts en vin de France, à partir du sauvignon et du merlot blanc et des rosés de saignée issue du premier vin.
Une gamme récemment complétée par un vin orange…
Oui. Je voulais avoir en 2023 des sauvignons purs et j’ai eu des merlots blancs. Ce cépage est un peu neutre, mon œnologue Romain Traste et moi avons donc décidé d’en faire un vin orange, vendangé à la main. Nous avons pris la décision de le fermenter dans des Wineglobe. Pour ne pas faire les choses à moitié, je suis parti, pour cette cuvée Collection Privée, sur une bouteille dessinée par Chantal Thomass !
Pourquoi pas un Clairet ?
J’y pense. Il a mauvaise presse depuis quelques années alors qu’il répond parfaitement aux attentes. Il me semble qu’une demande se fait jour. Elle mérite assurément qu’on s’y essaye bientôt.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres ?
Mon objectif, c’est de fonctionner comme en Val de Loire, avec une petite propriété et une foultitude de cuvées différentes. Nous allons nous appuyer sur une approche micro-parcellaire ! Notre propriété s’étend sur trois types de sols et de sous-sols, d’argilo-calcaire, en passant par des argilo-graveleux et des argilo-limoneux.
Cette approche doit nous servir pour apporter encore un plus de complexité dans nos assemblages. Et les seconds vins doivent nous permettre de nous lâcher ! (rires)
Les assemblages sont toujours l’ADN de Bordeaux ?
Oui et ça doit le rester. Il faut en revanche faire évoluer la pureté des vins et des expressions. Parfois, il suffit de 5 % de malbec pour changer un profil à l’instar du petit verdot médocain qui, présent à hauteur de 3 %, vient tout densifier et complexifier. Il y a des années où l’assemblage ne s’impose pas particulièrement comme en 2022 avec le malbec.
Comment sortir de l’ornière ?
Étonnamment, je sens que le marché bouge, que ça veut repartir avec en particulier une demande de blancs qui se vendent avant les rosés. J’aimerais d’ailleurs augmenter mon volume de blancs ! À titre personnel, j’ai un grand plaisir à goûter des blancs minéraux et tendus. Plus largement, je milite pour que les vins de Bordeaux soient consommés différemment ! La difficulté vient de ce que nous travaillons avec une culture pérenne annuelle alors que le marché bouge tous les 6 mois ! Il nous faut donc agir avec un temps d’avance. Plus facile à dire qu’à mettre en place.