Qui êtes-vous ?
Elle paraît simple cette question mais je ne suis pas certaine qu'elle le soit (Rires). Je suis une fille du coin. J'ai grandi aux alentours de Saint-Émilion et je suis arrière-petite-fille, petite-fille et fille de viticulteur.
Je me suis un peu égarée en entreprenant des études de pharmacie mais après avoir exercé quelques années, je suis revenue à ma première passion. Je suis scientifique de nature et les études m'ont plu ainsi que le côté très humain du métier mais j'ai trouvé ça plus monotone, moins tributaire de la saisonnalité et changeant que le métier de vigneronne. Et j'étais enfermée dans quelques mètres carrés, loin des vignes et de la nature que j'aime.
J'ai ainsi pu constater qu'on se rend compte de ce que l'on aime en le quittant. Voilà pourquoi j'ai convaincu mon mari – qui est assez éloigné de cette culture du vin – d'investir dans le vignoble.
J'ajoute que j'adore les échanges et les rencontres que procure le vin. C'est dans mon ADN.

Parlez-nous de vos propriétés
J'ai envie de commencer par vous parler de Soutard-Cadet, une propriété non classée de moins de trois hectares. Un endroit vraiment magique et bénéficiant d'un terroir incroyable qui offre de très beaux vins.
Château Sansonnet est notre première propriété, celle qui nous a permis de nous jeter dans le grand bain. Comme l'aînée d'une fratrie, elle est celle dans laquelle nous avons mis tous nos espoirs, nos principes. On a essayé de comprendre son terroir, son vignoble pour en tirer le meilleur. Il s'agit sans conteste de notre propriété de cœur.
Moulin du Cadet est une jolie petite propriété, dont le vignoble exposé au nord fait des vins frais et croquants. Elle permet d'augmenter notre production à Saint-Émilion et d'initier un effet de gamme avec des vins plus abordables et d'une plus grande buvabilité.
Nous avons fait l'acquisition du Château Villemaurine en 2021. Après avoir hésité au vu de la somme de travail que cela représentait, je me suis vite convaincue que je ne pouvais pas passer à côté de ce cru exceptionnel. Un achat de bon sens. Nous nous attelons désormais à révéler son terroir magnifique qui a encore beaucoup à donner.
Est-ce que, selon vous, ces châteaux possèdent une identité commune ?
Les personnes qui dégustent régulièrement nos vins nous disent fréquemment qu'il y a une touche. Notre maître-mot reste l'équilibre.
À Sansonnet nous avons des vins pleins, offrant une belle matière. C'est pourquoi nous sommes très vigilants aux acidités, au pH, à la fraîcheur indispensable au parfait équilibre des vins structurés.
À Villemaurine, les vins sont très fins et élégants, on est donc ici attentifs à l'élevage. En plus de sa durée, nous restons exigeants quant à la qualité des bois utilisés.
Par conséquent, je dirais que nos vins sont globalement caractérisés par des équilibres entre la matière, le volume, la fraîcheur et le toucher de tanin construit aussi lors des élevages.
Comment se réinventer lorsque l'on est à Bordeaux ?
Bordeaux se réinvente déjà beaucoup et depuis longtemps. Depuis quinze ans que je suis là, les efforts qui ont été faits sont incroyables sur le plan de l'agroécologie, de l'œnotourisme et de l'accueil. On peut désormais aisément visiter un grand nombre de propriété, petites ou grandes.
Bordeaux, qui adapte aussi ses vins aux plus jeunes, ne doit pas lâcher et doit continuer sur cette voie pour contrecarrer la vieille image parfaitement obsolète de vins chers, austères parfois mal faits. Cette image reste encore forte en dépit des efforts colossaux fournis par les associations ou encore les syndicats pour promouvoir une région viticole majeure en France.
Je reste convaincue que nous devons remettre de la convivialité dans les vins de Bordeaux, quelle que soit la gamme des vins proposés. Il faut également que Bordeaux retrouve de la cohérence dans les propositions qu'il fait aux consommateurs.
Parlez-moi du millésime
2023 est indéniablement un joli millésime, charmant et tout à fait gourmand. C'est un millésime dont je me suis très vite dit, et bien avant que la campagne des primeurs commence, qu'il allait plaire avec une très belle qualité de tanin, une jolie matière, de la sucrosité, du fruit et de faibles taux d'alcool.
On n'est certes pas sur LE très grand millésime mais 2023 est indéniablement un millésime plaisant qui devrait faire consensus et être rassembleur.
Votre millésime de cœur ?
À Sansonnet, je retiendrai le 2016 qui a marqué le début d'une longue série de beaux millésimes même si 2012 est incroyable. Il porte les fruits de tout ce que nous avons mis en œuvre à la vigne, par exemple sur le rééquilibrage des sols, et au chai avec, entre autres, le travail effectué sur les types de barriques, sur les méthodes de tri. Il a été l'aboutissement de ce travail sur la recherche des équilibres.
Je suis plutôt très critique mais là je dois avouer qu'il fut un réel accomplissement de toutes ces années de travail. Nous l'avons dégusté récemment et il s'est présenté sans aspérité, tout en finesse et élégance. Même si le millésime nous a bien aidés, bien entendu.
Avez-vous une actualité dont vous aimeriez nous parler ?
Oui. Nous allons très prochainement développer l'activité œnotouristique au château Sansonnet, avant l'ouverture de l'hôtel l'année prochaine, à Villemaurine.
Cela fait suite aux vastes travaux de réaménagement de Sansonnet, qui ont duré deux ans. Avec un nouveau réceptif et un nouveau parcours opérationnels dès juin, nous souhaitons ouvrir nos portes et recevoir, en toute convivialité, les personnes qui dégustent nos vins. Cette activité importante nous permet d'échanger directement avec les consommateurs.
Votre père, également viticulteur, vous a-t-il transmis un adage ?
Mon père avait coutume de me dire : « ne deviens pas agriculteur, c'est un métier où on tremble du 1er janvier au 31 décembre ! » Je lui donne raison mais c'est un stress motivant d'autant plus que c'est un métier passion et qui procure aussi de grandes joies. Et puis j'ajoute qu'en dépit de cet adage, mon père et son père avant lui sont restés viticulteurs toute leur vie (Rires).