Coup de projecteur sur Gwendeline Lucas, directrice des Vignobles Clément Fayat : « On veut arrêter d’intellectualiser nos vins ! Ils doivent être sur nos tables, bus et appréciés sans que les gens se posent trop de questions. »
Féret part à la rencontre de Gwendeline Lucas, directrice des Vignobles Clément Fayat.
Figure désormais incontournable et indissociable des Vignobles Clément Fayat, la dynamique jeune femme est revenue pour La Lette Féret sur son parcours et la nécessaire mutation opérée sous sa tutelle des vins du groupe, à commencer par le vaisseau amiral le Château La Dominique.
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Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis arrivée à Bordeaux à la fin de mes études dans le vin à l’ESC Dijon, Mastère CIVS, il y a de cela 15 ans. Je suis originaire de Bourgogne. La vision que j’avais alors de Bordeaux était très floue. Je n’en comprenais pas le fonctionnement, entre le négoce, les courtiers et les primeurs. J’avais très envie d’approcher ce monde pour mieux le comprendre. C’est la raison pour laquelle j’ai effectué mon stage de fin d’études au sein du CVBG dans le service export. Je reconnais que j’ai alors découvert un monde et un système qui ne cessent de m’émerveiller entre l’histoire du vignoble et la renommée mondiale des grands crus. Une passion et un intérêt jamais démentis qui ont fait que je suis restée à Bordeaux.
Quelques regrets de vous être installée en Gironde ?
Aucun, la vie est très douce ici quand je la compare à la vie bourguignonne, à son climat en particulier. Je dis ça mais j’ajoute aussitôt que je reste très, très attachée aux vins de Bourgogne. Ceux qui me fréquentent, même un peu, connaissent mon amour du Chablis, en particulier. (rire)
Comment êtes-vous arrivée dans ce groupe familial ?
Le directeur général de l’époque, rencontré dans le cadre de mes activités au CVBG, m’a présentée à Messieurs Clément Fayat et Jean-Claude Fayat, afin que je le seconde dans ses missions à l’export. Le courant est bien passé et l’aventure auprès de cette famille très attachée à ce patrimoine viticole a pu commencer. Le poste a évolué dans la mesure où en 2017, la famille m’a confié la direction générale des trois propriétés : Château Clément-Pichon, Château Fayat et Château La Dominique, issues de trois appellations différentes sur les rives gauche et droite.
Si vous deviez décrire ces châteaux ?
L’emblème puissant de Clément-Pichon reste la demeure familiale avec une bâtisse exceptionnelle. Cette dernière figure sur l’étiquette. C’est une marque puissante sur le marché domestique en particulier, très demandée en CHR et en grande distribution. Un château porté, il est vrai, par une étiquette qui plaît particulièrement sur le marché asiatique. Le plus « petit » des trois mais pas le moins intéressant !
Les deux autres sont dans des appellations prestigieuses
Oui, Château Fayat situé à Pomerol bénéficie d’une AOP de renommée mondiale ! Depuis quatre ans, nous menons sur ce site, que nous pourrions qualifier de vignoble urbain, un grand projet de viti-foresterie, en collaboration très étroite avec le tissu libournais. C’est une marque qui possède désormais une forte identité et qui poursuit son petit bonhomme de chemin. J’ajoute que depuis 2019, je suis accompagnée par un directeur technique Yann Monties qui chapeaute l’ensemble des châteaux pour lesquels nous avions de grandes ambitions. Les effets ne se sont pas fait attendre avec des résultats formidables et des notes qui ont grimpé en flèche pour l’ensemble de nos vins.
Parmi les trois, Château La Dominique est votre vaisseau amiral…
D’autant plus qu’il s’agit de la première acquisition de la famille Fayat, en 1969. Une propriété idéalement située à Saint-Émilion sur des terroirs exemplaires et entourée de grands voisins. Les vins n’ont jamais été aussi bons, j’en veux pour preuve les 2019, 2020 et 2022 ! Des millésimes complètement fous. Au-delà de cela, le Château La Dominique fait partie des références incontournables en œnotourisme. Nous avons ouvert nos portes de façon très large il y a plus de 10 ans, nous étions alors de vrais précurseurs. Une offre unique complétée par La Terrasse Rouge, le restaurant juché sur le toit de la propriété avec vue imprenable sur nos vignes.
Est-ce que le nouveau profilage de La Dominique correspond aujourd’hui aux attentes ?
Oui et c’est exactement là que j’ai pu apporter ma pierre à l’édifice. Je précise que lorsque j’ai été nommée à la tête des VCF, les attentes du marché étaient déjà différentes. Si j’apprécie ce qui fait la beauté et la force des Bordeaux, c’est-à-dire leur capacité à vieillir admirablement, je n’ai pas forcément envie d’attendre dix ans pour ouvrir une bouteille. C’était là tout l’enjeu lorsque j’ai recruté Yann et qu’on s’est assis autour d’une table pour définir les ambitions et les objectifs. Je souhaitais qu’on élabore des vins éclatants, frais, buvables dans leur jeunesse avec un beau potentiel de garde. On veut arrêter d’intellectualiser nos vins ! Ils doivent être sur nos tables, bus et appréciés sans que les gens se posent trop de questions. Il nous faut revenir à l’essentiel, c’est-à-dire au côté hédonique de la démarche. Une philosophie appliquée, je le précise, aux trois châteaux.
Un aspect un peu oublié par Bordeaux ?
Bordeaux a certainement mis un peu de temps à s’adapter à ces attentes et à redessiner le profil de ses vins. Les gens n’ont pas le temps ni la place, je me répète, d’attendre indéfiniment un vin avant de pouvoir l’apprécier. On doit pouvoir faire des vins qui ont de la structure, du fruit et de la concentration. En faisant cela, on ne revoit pas complètement les codes bordelais mais nous nous appliquons juste à faire en sorte que nos vins puissent être bus dans leur jeunesse également. C’est une demande aujourd’hui généralisée quel que soit le marché, la distinction pouvant se faire parfois selon des catégories d’âge, les moins de 35 ans privilégiant clairement les vins sur le fruit.
Est-ce que Bordeaux a un défaut d’incarnation ?
Oui, sûrement un peu encore. Je pense surtout qu’il nous faut faire goûter nos vins encore plus. Histoire aussi de reprendre contact avec nos consommateurs, d’en comprendre les attentes.
Quelle importance ont aujourd’hui les primeurs ?
Je suis toujours très heureuse de faire goûter des vins en cours d’élevage, le fruit de notre travail. Je reconnais — ce n’est pas un scoop — que la commercialisation durant cette période, patine un peu. L’idée reste géniale mais concerne aujourd’hui peu d’élus.