Quand j’interroge des amis amateurs de vins et que je leur demande « Est-ce que tu peux me donner des noms de vignerons à Bordeaux ? ». Ils sèchent alors qu’ils me citent aisément Jacky Blot, Landron, Germain, en Loire. Ganevat, Tissot, Overnoy dans le Jura…
Dans les autres régions françaises, derrière un domaine, il y a un vigneron. Bordeaux se cache derrière sa marque, son nom de château. Ce n’est pourtant pas une fatalité.
Je pense que la spécificité de la Place de Bordeaux explique en partie cela. D'un côté, la propriété qui produit (en bouteilles ou en vrac), de l'autre, un négoce qui commercialise. Compliqué d’incarner sa marque, quand on a confié la commercialisation à un tiers. Ce système a fait ses preuves et a permis de porter loin la marque Bordeaux. Qui d’autre que le négoce pour amener quelques caisses de chaque cru vers les principales capitales mondiales ?
Je comprends que les crus classés aient travaillé à constituer des marques fortes, en construisant sur le temps long, la notoriété d’une marque de château. Mais cette stratégie ne peut pas fonctionner pour les 5000 autres châteaux de Bordeaux. Être un château ne suffit pas. Les autres régions viticoles ont, à mon sens, trop voulu singer le modèle des grands crus. Apposer le terme « Château » n’était pas encore une pratique usuelle au début du 20e siècle. C’est après les années 1960 que la pratique s’est largement répandue. Comme si le fait de revendiquer le terme « Château » était suffisant pour accéder au prestige de la marque. Le terme a été largement galvaudé. Comment le consommateur peut encore avoir confiance dans une région qui place « Grand Vin de Bordeaux » sur une bouteille vendue 3 euros en grande surface ?
Je crois en l’avenir de Bordeaux, si nous relevons le défi d’incarner nos marques, personnellement. Ce n’est pas l'œnologue qui fait le vin, c’est le vigneron. Il engage son image, il doit être le garant de la qualité. C’est le prérequis pour restaurer la confiance du consommateur.
Incarner sa marque, cela veut dire aussi aller au contact du consommateur, créer une relation, personnelle, intime. Nos vins sont là pour créer des émotions, pour procurer des frissons à ceux qui nous accordent leur confiance. Il nous faut donc reprendre la main sur notre commercialisation. Cela implique de créer de réels partenariats avec nos distributeurs, qu’ils soient négociants, importateurs, grossistes ou cavistes.
C’est dans cette philosophie que nous avons lancé les Bordeaux Pirate. Un collectif de vignerons en bio, qui innovent, qui sortent des sentiers battus, qui vont au contact de leurs clients pour leur proposer de nouvelles expériences.
Je crois en ce Bordeaux, incarné par des vignerons passionnés, je crois en un avenir plus radieux pour le vin de Bordeaux. Parce que les talents sont déjà là, parce que nos terroirs ont déjà fait leurs preuves, parce que cette crise oblige à une remise en cause profonde, et que nombre d’entre nous sont déjà en marche pour dessiner ce nouveau vin de Bordeaux.
